article * de Frédéric Rognon , professeur de philosophie des religions et d’anthropologie de la religion à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, ami de l’Arche de Lanza del Vasto, résumé par Etienne Godinot
* Frédéric Rognon, " Notre époque est-elle celle d’un ré-enchantement du monde ? (2) Se situer face à la pluralité religieuse ", Nouvelles de l’Arche, année 56, n° 4, juillet-août-septembre 2008, La Borie Noble, 34650 Roqueredonde
Face à la pluralité des religions, il présente quatre options possibles :
L’exclusivisme consiste à prétendre posséder seul toute la vérité, les autres religions étant des erreurs, des idolâtries, voire des expressions diaboliques. L’exclusivisme exclut donc les autres religions de toute prétention légitime à une quelconque parcelle de vérité. La vérité ne se partage pas : si une religion est vraie, les autres sont nécessairement fausses. Il y a une différence de nature et non de degré entre le vrai et le faux, il n’y a pas de moyen terme.
L’inclusivisme consiste à considérer que ma propre religion inclut les autres traditions religieuses, c'est-à-dire qu’elle les englobe et les accomplit. Chaque religion détient une parcelle de vérité, mais cette vérité partielle se trouve mélangée avec de fausses croyances, et même avec des institutions démoniaques. Seule ma religion assume la vérité pleine et entière. Les autres religions ne sont pas rejetées ni condamnées comme étant des constructions purement humaines, elles sont au contraire respectées dans toute leur dignité comme étant en partie des œuvres divines qui, de ce fait, diffusent " un rayon de la vérité ". Elles sont intégrées au plan de salut que Dieu a élaboré pour tous les hommes. Telle est la position de l’Eglise catholique depuis Vatican 2, alors qu’auparavant elle était exclusiviste.
Le relativisme consiste à affirmer que toute religion exprime une part de vérité, mais qu’aucune ne détient la vérité entière et absolue.
Raimundo Panikkar * est un des porte-parole les plus convaincus et les plus convaincants de cette position. Il propose cinq métaphores pour exposer sa conception de la pluralité religieuse :
1- La montagne : les religions ne sont que des chemins différents qui mènent vers le sommet d’une même montagne, au départ très éloignés les uns des autres, mais qui se rapprochent peu à peu. Comme le disait Pierre Teilhard de Chardin, " tout ce qui s’élève converge ". Il n’est pas question de changer de chemin, de se convertir à une autre religion ou de mélanger deux religions (on ne peut pas suivre deux chemins à la fois). Il n’est pas question non plus d’affirmer que mon chemin est plus direct que celui des autres. Il s’agit de poursuivre mon chemin en me rapprochant des autres, ou de me rapprocher des autres pour mieux poursuivre mon chemin.
2 - Les fleuves : Le Jourdain (le judaïsme), le Tibre (le christianisme) et le Gange (l’hindouisme) ne se rencontrent pas et n’ont pas besoin de le faire pour être des rivières vivifiantes. Mais leurs eaux se rejoignent dans les océans et dans les cieux, sous forme de nuages, après avoir été transformées en vapeur, d’où elles retomberont en pluie pour nourrir la terre et les rivières. Les religions ne fusionnent pas, mais elles peuvent se rencontrer, une fois transformées en vapeur, une fois délestées de leur outillage doctrinal, métamorphosées dans l’Esprit. Je suis chrétien par hasard, pour des raisons d’histoire et de géographie, parce que je suis né en 1949 en France de parents chrétiens, et je dois me convertir à la religion dans laquelle je baigne par hasard, la faire évoluer comme je le sens, ou choisir une autre voie.
3 - L’arc-en-ciel : les différentes religions sont comparables au nombre infini de couleurs. Les limites entre religions, comme entre couleurs, sont artificielles, il s’agit d’un dégradé progressif. C’est seulement l’arc-en-ciel dans son ensemble qui donne une image complète de la véritable dimension religieuse de l’Humanité. Mais cette image-là n’est pas elle-même la vérité, elle n’est qu’un effet de la source de lumière qui est bien au-delà des couleurs. Là encore, il n’est pas question de mêler les couleurs, ce qui donnerait naissance à une autre couleur, mais de respecter infiniment les autres couleurs que la mienne, comme étant chacune dotée de la même valeur car reflétant au même titre la lumière divine.
4 - Les planètes : Nous avons toujours tendance à considérer le christianisme comme le centre de l’univers religieux, comme nous considérions la Terre dans la représentation géocentrique de Ptolémée. Or il est possible de construire autant de systèmes de Ptolémée qu’il y a de traditions religieuses. Nous sommes donc maintenant invités à effectuer une révolution copernicienne dans notre représentation de la pluralité religieuse : passer d’une perception religieuse centrée sur elle-même, où le point fixe est donné par notre propre tradition, à une vision dont le centre échappe à toutes les traditions pour ne se trouver qu’en Dieu, critère de toute vérité, équivalent du soleil dans le système de Copernic et de Galilée. La révolution consiste à passer du christianocentrisme à un théocentrisme.
5 - Le langage : chaque religion est comme une langue, qui exprime ce dont les hommes ont besoin et ce qu’ils vivent, qui évolue, qui emprunte aux langues voisines sans perdre pour autant son identité. Il n’y a pas de langue plus parfaite qu’une autre, chacune est unique puisqu’elle est fondamentalement intraduisible, elle n’existe qu’en fonction d’une certaine vision du monde, et néanmoins il y a une sphère de toutes les langues qui est traduisible, un fond commun et un langage commun pour une compréhension mutuelle. Celui qui s’engage dans le dialogue interreligieux est comme un traducteur qui doit parler parfaitement les deux langues, la sienne et celle de l’autre.
La posture apophatique (du grec " dire non) consiste à admettre qu’on ne peut rien dire sur Dieu et sur la Vérité. Il ne s’agit pas d’agnosticisme, mais d’une approche qui reconnaît que le mystère divin dépasse toujours le langage humain : Dieu ne se laisse pas réduire à ce que nous en disons et à ce que nous croyons à son sujet. Le discours théologique ou doctrinal n’épuise pas la réalité sur Dieu. Il n’y a donc pas de dialogue interreligieux possible à proprement parler. Ce qui est possible et souhaitable, c’est une communion entre hindouistes, bouddhistes, juifs, chrétiens, musulmans, agnostiques etc. non pas pour discuter, mais pour méditer ensemble, pour se recueillir ensemble dans le silence. *
* ajout d’Etienne Godinot - et pour agir ensemble contre l’oppression, l’injustice, pour les droits de l’homme et la préservation de la nature.
* Raimundo Panikkar, jésuite, théologien indien, né de mère espagnole, auteurs de nombreux ouvrages dont " La plénitude de l’homme, une christophanie " publié à Arles par Actes Sud, en 2007 (320 p.)
" Qui est le Christ ? Comment peut-il être intelligible aux chrétiens comme aux autres ? A partir d’un postulat, " Jésus n’est pas Dieu, mais fils de Dieu et, comme fils "égal" au Père, parce que le Père ne retient rien pour lui ",
l’auteur tente de déchiffrer l’expérience mystique de Jésus de Nazareth, pour décrire ensuite l’expérience christique en neuf propositions sur l’identité du Christ et son incarnation.
Nous avons là un livre ardu, mais avec des plages lumineuses comme l’expérience mystique à partir de celle de Thérèse d’Avila (" Cherche-toi en moi, cherche-moi en toi ") ou la réflexion sur trois expressions : " Abba, Pater ! ", " Moi et le Père sommes un " et " Il convient que je m’en aille ". […] Au carrefour de l’Orient et de l’Occident, R. Panikkar nous fait partager ses réflexions sur la condition humaine dans sa recherche de plénitude, de vie et de vérité. C’est le résultat de la pensée de toute une vie, dans la rencontre des cultures et devant la nécessité planétaire d’un changement de paradigme " par Marie-Thérèse Bouchardy (revue Choisir, septembre 2007), lu sur le site du CEDOFOR (Genève)