par Jean-Claude Barbier
Alors que la charité est un acte individuel, d’une personne envers une autre qui se trouve en souffrance morale, psychologique, physique ou économique, elle s’est trouvée brutalement démodée par une militance se référant aux droits de l’Homme : il ne s’agit plus désormais « d’aider » les autres, mais de leur reconnaître des droits à part entière (à la santé, au logement, à une rémunération, etc.). La charité est remplacée par la fraternité obligée (comme devoir citoyen) et l’égalité entre les citoyens (d’abord au sein d’un même pays, puis d’une façon universelle). Elle est remplacée aussi par un Etat providence dont on attend qu’il s’occupe en priorité des catégories les plus pauvres au nom d’une solidarité nationale.
Or, ce faisant, on change complètement de niveau. La charité est de l’ordre des relations interindividuelles alors que les droits de l’Homme sont des affirmations universelles et englobantes, valant pour toutes les personnes quelque soit leur situation, et que les politiques d’aides publiques s’adressent à des entités territoriales ou à des catégories sociales.
En opposant la charité aux droits, on ouvre artificiellement des polémiques qui mènent à l’exclusion des gestes de charité (Jacques Brel se moquait des dames patronnesses !), mais l’initiative privée reste dans bien des cas utile, ne serait-ce que pour pallier à des pouvoirs publics déficients ou tout simplement dans l’impossibilité de tout faire ! la Croix-Rouge, les divers Secours et les aides humanitaires ont su ainsi trouver leur place dans notre monde moderne, recueillir des dons individuels et canaliser une grande partie des élans généreux d’une multitude. Mais, constat peut être fait que ce que faisaient naguère seules les institutions religieuses est désormais sécularisé ou du moins largement laïcisé. On ne peut d’ailleurs que s’en féliciter car, si de grandes choses furent faites avec dévouement, cette prise en charge des besoins d’aide par les religieux fut aussi et dramatiquement émaillée par des scandales (maltraitances d’orphelins, de « filles-mères », de personnes âgées, d’indigènes, pédophilie, capture d’enfants, etc.).
Alors la charité ? Est-ce fini ?
La charité va au delà des lois et des mentalités. A l’époque de Jésus, les Juifs devaient lapider une femme prise en flagrant délit d’adultère, ne pas fréquenter les Samaritains considérés comme des hérétiques, ne pas toucher les personnes rendues impures par la peste, un écoulement sanguin, ou encore tourmentées par des démons, s’abstenir de grignoter des épis de blé le jour de sabbat même si l’on est affamé par un long voyage, etc. L’acte de charité peut être dans ces cas transgressif.
Certes, il ne vise pas dans l’immédiat à changer les lois ou un système injuste, mais il indique la bonne direction par un acte de pardon ou de charité. Paul de Tarse adressant une requête à un frère dans le Christ, Philémon, afin qu’il libère son esclave de maison, Onésime, n’est pas un donneur d’ordre en dépit de son prestige social, mais il parle le langage de la raison (somme toute Onésime ne lui était guère utile, mais il le sera dorénavant en devenant son collaborateur, Phm, 1, 11) et surtout du cœur.
Paul fut condamné par les révolutionnaires de tout poil … jusqu’au jour où les historiens, analysant les révolutions, mirent à jour (ce que d’aucuns avaient déjà très vite compris !) les comportements arrivistes et dictatoriaux de ces derniers, instaurant très rapidement une nouvelle classe dirigeante parfois et souvent plus cruelle que la précédente ! Si le changement est nécessaire, il doit s’accompagner de prise de conscience et d’une évolution des mentalités si l’on veut qu’il y ait un réel progrès sociétal et politique.
Pauvre Paul qui pourtant, après Jésus, parla si éloquemment de la charité mais dont les propos furent incompris par certains. Protestants luthériens et réformés, obsédés (comme tous les chrétiens de leur époque) par le salut des âmes, ne lurent dans ses épîtres que les propos concernant la Grâce que Dieu nous donnerait, occultant ses appels à la charité : parfait exemple de lecture fondamentaliste et partiale, ne lisant que ce qui va dans le sens d’une thèse, présentant des extraits sortis de leur contexte.
Relisons donc les textes du Nouveau testament si riches en paroles d’amour et redécouvrons la valeur de la charité qui est au cœur même de la grande tradition chrétienne.
Saint Vincent de Paul (1581-1660), fondateur en 1623 de la Compagnie des Filles de la Charité. Aujourd’hui la Confédération Internationale de la Société Saint-Vincent-de-Paul est présente dans 148 pays, avec 780.000 membres répartis dans 70 000 "conférences", et 1,3 millions de bénévoles au service de plus de 30 millions de personnes pauvres (Source : statistiques dans un article publié en février 2003, lien)